HIROSHIMA

Les perruches, après, le déluge, bénis soient leurs noms. Je suis obsédés par elles, comme elle dit, moi je dis juste qu'elles sont là et c'est étrange.
Et puis tout bourgeonne en janvier et le vert prend de plus en plus de place, je doute d'un râle, l’énergie du désespoir, puisque le temps est aboli, on passe une tête, on tâte l'eau du bout des doigts, ça craint mais c'est acceptable, pour le moment hors du temps, la petite embardée, rien de tout ça est vrai, c'est juste un dernier râle et les perruches, bénis soit leurs noms, les yeux injectés, les fruits trop sucrées, la cristallisation dans les veines de leurs yeux ronds et vicieux, leurs robes verte, elles sont belles, des sucettes, du sucre d'orge empoisonné, après elles l'indigestion, le déluge de gerbe.
Bénis soit leurs noms.
Ange de l'apocalypse
Grès, engobes, fils nylon

La nuit
Grès, fils nylon






Explosion/Éclosion
Grès, émail
Peser le temps ce n'est possible qu'à l'arrêt
Ça a duré longtemps, peut-être deux secondes
Ses mains ont attrapé les bretelles de sa robe et elle s'est dévêtue en la faisant remonter par les épaules.
La soie se vidait de sa peau, sa peau coulait, d'un autre côté.
Je ne peux contenir cette vision, la baie d'Hiroshima, les nuages filaient, le ciel se découvrait.
C'était hâtif, presque effrayé,
Un typhon survenait, disait la météo.
Ton corps était une mer d'huile, quelques vergetures plissaient sa surface.
L'hôtesse de l'office de tourisme nous a montré l'écran de son ordinateur où l'on pouvait voir, ou plutôt ne pas voir, le mont Fuji perdu dans la brume. Elle nous décourageait d'y aller, nous y sommes allés tout de même, et puis le mont Fuji était perdu dans la brume, on ne pouvait le voir alors qu'il était visible parfois depuis Tokyo, il était comme raturé du paysage, et c'était encore plus immense la brume qui cache quelque chose de si grand.
Mémorial de la bombe A
Poulets brûlés qui courent, flash des hommes contre les murs, corps fondus d'enfants sur des tricycles, tissus des vêtements qui épongent les corps fondus.
Le pilote avait une autre ville comme objectif, mais la brume l'en a empêché, il s'est rabattu sur Nagasaki. J'ai lu ça, j'ai vu frémir l’équilibre des balances. Il s'est rabattu. Et les gens ont fondu parmi les roches car une brume ne les cachait pas.
Je suis parti, avant la fin, de la visite.
Tu m'as dit que j'avais l'air énervé, j'ai répondu que je ne me sentais pas bien. J'ai pleuré un peu, parce qu’avec toi j'ai appris à ne pas me retenir, ça m'a fait du bien, j'avais moins la gerbe après.
Sur un mur découpé et mis en vitrine, on pouvait voir les coulures de la pluie noire radioactive.
Les cheveux des survivants sont tombés, alors certains mouraient, d'autres vivaient plus, et puis leurs cheveux repoussaient, et puis finalement ils mourraient quand même, quelques années plus tard.
Mes cheveux salés crissants de sables, cuir qui gratte, nous avions pris ce bain, dans la mer de Seto, à un moment une raie a bondit hors de l'eau en battant des ailes, l'avais-tu vu ? Tu regardais ailleurs, c'est le reste du monde qui te faisait diversion.
Je me demandais comment vivre ici, moi je devais quitter, je sentais le poids de la ville soulevée retomber sur moi.
Les cimetières étaient dévastés eux aussi, et les morts ont fondus dans leurs trous, leurs liquéfactions ont emprunté le chemin vaquant des racines évaporées.
Tes seins étaient lourds, profonds, ils ont atterri à leur place lorsque ta robe a fini par les découvrir.
Les immeubles ont repoussé, mes yeux les aspirent jusqu'en haut, les longs des grandes tours, et puis c'est le ciel empli de gravats qu'ils soutiennent, le nuage atomique sur les photos prises par ce rescapé à quelques kilomètres de là semblait ne plus devoir s’arrêter de s’élever.
Les immeubles ont repoussé, les cheveux aussi, et puis ils mourraient quand même quelques années plus tard.
J'observais cette femme qui comptait sur ses doigts, jusqu'à neuf, l'annulaire de la main gauche. Elle semblait faire la planche sur l'eau, elle se laissait flotter.
Baie d'Hiroshima, je m'agrippais où j'avais pied, l'eau qui bout, les gens qui meurent de soif et ouvrent grand la bouche pour boire la pluie radioactive.
Elle comptait jusqu'à neuf sur ses doigts, ses doigts étaient fins, le temps bu, tourbillons l'aspirant par le nombril, le sexe.
La mer n'est pas la même partout, c'est sûr, je me disais, mais elle est si pareille.
Les lianes pétrissent les camphriers des temples shintô, tes doigts qui comptaient pétrissaient ailleurs, plus tard. Dans les jardins ou nous nous promenions, nous admirions ses arbres taillés pour faire naturel. Les lianes pétrissent et étranglent, une certaine idée du manque.
Tes cheveux que libérait l'ôtement de ta robe s'écroulait en ondulant sur tes épaules.
Dans les traits tirés qui barraient la lumière, les feuilles des bambous serpentaient jusqu'au sol, s'affalaient dans le silence minéral et mousseux.
Ton ventre se gonflait, j'imaginais cette repousse de moi, ce qui prendra ma place et tombera à son tour. Nous étions dans l'avion à la poursuite du jour, sous la crème grainée du brouillard, on imaginait aisément les eaux figées du détroit de Béring.
Cet avion là n'avait pas de cible, le temps progressait en s'écroulant. Tu as lancé ta robe noire sur le sol, la nuit s'est emparée de moi, tu m'as couverte du silence des pierres.