Iceberg/Icare


Icare
Je voyage à ma manière.
Je n’ai pas de souvenir de bateau, je ne connais pas la sensation.
Mais je me souviens des banquises,
de ces arrachements vers le soleil,
Iceberg.
Des milliardaires organisent des croisières au pôle Nord,
ils ont « déjà tout vu ».
Iceberg, où se fracassent les bateaux.
Je sais, ils fondront,
la glace sera eau,
l’eau sera mer,
elle nous submergera.
Les rochers, mêmes, halètent, dans la marée montante.
Iceberg,
où se brisent les coques,
les mers de glaces et les hommes froids.

Vagues, rochers
Les rochers halètent dans la marée montante
Hier j'étais en Bretagne, j'ai noté sur mon téléphone des phrases comme : les rochers halètent dans la marée montante. Les plages sont des déserts de tatous affalés. Les ciels sont des bobines de films que l'on déroule.
J'ai noté aussi ce mot : scarification. Le granit rose est scarifié.
Je dis rose, oui, mon accent du sud ouest.
Sur mes mains, je regardais tout à l'heure, alors que je m'ennuyais dans une salle d'attente, mes empreintes digitales. Elles sont uniques, paraît-il. Je me demande ce qui dessine nos empreintes digitales. Peut être qu'elles sont modelées aux choses que l'on touchera dans nos vies. Que tout est pressenti dans les lignes de la main.
Les empreintes digitales du granit rose sont pour toucher le vent et la pluie. À plus grande échelle, la terre est une caresse ellipsoïdale dans l'espace.
Je prends des notes pour me rappeler. Et puis j’oublie quand je change de téléphone. Mon cerveau ne suffit pas, j'ai besoin de substituts, je me fais des îles où m'arrimer. Si mon cerveau n'avait pas mon crâne pour le contenir, il s'étalerait par terre comme une flaque d'eau.
Mes notes sont des souvenirs qui halètent.
Je me souviens des choses comme l'on voit des continents depuis la mer.
J'ai codé en moi le bruit du sable grossier qui crisse sous les bottes.
J'ai en tête quelques respirations particulières parmi mes millions de respirations.
Je me souviens d'une grande respiration que j'ai prise alors que je m'étais isolé sur la plage de Trégastel. J'étais inquiet de tout, mais le vent et le roulis des vagues ont conglomeré en moi mes angoisses en une grosse boule que j'ai expirée dehors.
La machine à barbapapa, à la petite fête de mon village. Les filaments roses qui volaient et qu'un monsieur agglutinait sur un bâton. On voyait un peu partout des enfants cachés derrière des gros nuages de sucre, plus gros que leur tête.
Je me souviens aussi de quelques expirations après l'amour. De celle que j'ai poussée dans tes bras quand nous nous sommes retrouvés. Elle était longue, jusqu'au boutiste, et mes yeux se sont fermés pour te concentrer en une île.
Je crois avoir encore en moi mon premier souffle, être né dans un orgasme pulmonaire, quand le monde m'a pénétré et que mes alvéoles ont éclaté.
Je veux écrire un texte sur la Bretagne. Mais je passe d'une île à l'autre. Je navigue dans les canaux de mes synapses.
Plus loin, dans la brume, le continent de mon enfance, celui du café robusta, des camomilles et des miasmes que font les bouches en mâchant les choux de Bruxelles en boîte.
Je suis d'une île à l'autre, d'un continent à l'autre, des tyroliennes pour les relier.
Les doigts de granit rose caressent les joues de mes parents, des marées montantes de café robusta font haleter les tatous des déserts. J'appuie fort sur ma tête et le jus drus de mon cerveau s'écoule.
Je n'écrirai pas de texte sur la Bretagne, elle restera, suffocante, dans la marée montante.

